Colorful est un film fantastique du japonais Keiichi Hara, sorti en 2010. Il a remporté le prix Mainichi du meilleur film d’animation en 2010 ainsi que la Mention spéciale et le Prix du public au Festival d’Annecy en 2011.
On y raconte l’histoire d’une âme pécheresse récemment décédée, qui se voit offrir une seconde chance si elle remplit une mission bien particulière : se réincarner dans le corps de Makoto Kobayashi, un jeune garçon mal dans sa peau, suspendu entre la vie et la mort suite à une tentative de suicide. Notre héros (que nous appelleront Makoto par souci de simplicité) doit vivre cette vie à la place de son propriétaire légitime et, attention, il doit la vivre bien, sinon après une période probatoire de 6 mois, c’est retour chez les morts et interdiction formelle de cycle de réincarnation. Makoto essaie donc tant bien que mal de reprendre le fil d’une existence pétrie de problèmes familiaux et de tracas de collégien. Il se fait des amis, découvre des secrets, se dispute, bref il comprend que quand on est ado, la vie, c’est parfois trèèèès compliqué et pas toujours jojo. Je ne spoile pas dans l’intro, mais plus tard, donc on va juste dire qu’il y a un twist et que ça finit bien, bonsoir, bonne nuit.
Ce film a reçu de bonnes critiques et plusieurs prix. Sauf que je ne l’ai pas trouvé formidable.
Commençons par des points positifs.
- Le dessin est extrêmement travaillé, avec parfois des décors en image de synthèse où évoluent des personnages dessinés en 2D, une recherche des couleurs et des lumières, des traits fins, bref c’est de la belle ouvrage.
- L’histoire est extrêmement mature : on y aborde les thèmes du suicide adolescent, de l’adultère, des problèmes de scolarité, donc c’est vraiment orienté ado-adulte avec une bonne écriture de base.
- Un sous-texte assez riche, par exemple dans la façon dont le film revendique son esthétique à travers l’atelier d’art. Il veut être réaliste, ne pas peindre uniquement ce qui est beau, mais aussi ce qui ne l’est pas (si vous l’avez vu, rappelez-vous la scène où……, le love-interst de Makoto, dit à une de ses amies qu’elle devrait peindre avec des couleurs joyeuses plutôt que d’imiter exactement son modèle, conservation qui fait écho à celle de fin où Makoto affirme que les gens sont composés d’une multitude de couleurs, belles et laides, et qu’il faut toutes les peindre).
- Des procédés sympas, comme la vision de l’au-delà, où les paroles du personnage sont retranscrites sous forme d’idéogrammes, ce qui ne laisse aucun indice sur qui il était avant de s’incarner dans Makoto.
Seulement, deux-trois détails empêchent de profiter pleinement de ces qualités.
- Dès le début du film, on sens un certain manque de logique. Bon, y’a des explications plus tard et même à la base on peut en trouver une ou deux qui, à défaut de tenir la route, n’envoient pas le scénario dans le fossé. Par exemple, on annonce au héros, récemment mort, de s’incarner dans le corps d’un autre garçon lui aussi décédé peu de temps avant. Là, bon, vous laissez passer, ou vous vous demandez comme moi : pourquoi le Grand Patron ne le renvoie-t-il pas dans son propre corps si le but du jeu est de le tester et de lui donner une seconde chance ? De plus, on lui demande d’essayer de se souvenir de sa vie d’avant, mais pourquoi ? Que vient faire cet objectif dans une intrigue centrée sur la vie du Makoto légitime et non pas de son emprunteur temporaire ? Ces question trouvent toutes une réponse ensuite, mais l’important c’est qu’au début, on y comprend rien du tout. Or, cette incompréhension intervient à un moment particulièrement sensible de l’oeuvre, lorsque devrait avoir lieu la captatio benevolentiae (c’est-à-dire le moment où le spectateur s’attache à l’histoire et aux personnages, accepte de s’intéresser à l’intrigue, etc.). Si bien que, comme on a l’impression que le film nous impose la situation de base comme un incompréhensible « c’est comme ça et c’est tout », on n’accroche pas complètement.
- Dur-dur d’accrocher aussi aux personnages et à leurs aventures. Tout part de la volonté artistique du film à être réaliste, à peindre la réalité dans sa totalité sans l’idéaliser ni l’enlaidir. Volonté que je respecte, au passage. Mais on se retrouve à suivre des collégiens mal dans leur peau et, bien sûr, un collégien mal dans sa peau est rarement agréable à vivre. Les personnages, y compris le personnage principal, ont une forte tendance à se montrer cruels, insensibles, mesquins, susceptibles, bref à se comporter comme des adolescents normaux en quête de bonheur et d’identité. Donc bon, c’est le principe du film, soit. Et les ados ont le droit d’être de grands enfants insensibles et de montrer qu’ils souffrent, après tout le reste du monde ne s’en prive pas. Mais, au bout de deux heures de vidéo, ça devient légèrement agaçant de voir le héros, âme pécheresse revenue d’entre les morts pour atterrir dans une famille dévastée par un adultère, un boulot merdique et une tentative de suicide, en train de ravager à force de bouderie et de crises de colère ce qui reste de ladite famille. Sérieusement, regardez le film, le comportement du personnage tourne à la torture psychologique pour sa pauvre mère. Je n’ai rien contre les héros un peu déglingués émotionnellement et à l’âme noire et tourmentée, mais celui-ci n’a vraiment rien d’attachant, car il donne l’impression de se complaire dans un malheur où il s’enferme lui-même.
- Enfin je parlerai du rythme et du style graphique. Déjà, j’avoue ma faute : j’ai choisi le DVD pour sa jaquette. Ce personnage entouré de fleurs multicolores, les yeux clos, peut-être mort, avec ses airs de dormeur du val, m’avait laissé entrevoir un long métrage chatoyant et dynamique, avec un touchante histoire d’amitié et de réconciliation en prévision. J’ai déjà dit ce qu’il en était de la sensibilité et des relations dans ce film, inutile de préciser que l’aspect graphique ne m’a pas convaincue. C’est précis et réaliste, certes, mais ce n’est ni chatoyant ni dynamique. Quant au rythme, il semble avoir du plomb dans l’aile. On suit le quotidien somme toute assez banal d’une famille japonaise typique et, au bout de deux heures, on se demande si on aurait pas pu regarder quelque chose de plus intéressant pendant les transitions. Là encore, c’est la principe du film… mais tout de même. J’ai en tête le passage où Makoto s’enfuit avec la fille qu’il aime et qu’ils courent… et qu’ils courent… et qu’ils courent… On n’arrête pas de changer de scène et on a l’impression qu’ils ont fait des kilomètres et pendant tout ce temps pas de paroles, pas de péripéties, ils courent et on les regarde courir. Un format long peut être l’occasion de développer des intrigues, d’approfondir les relations et je suis d’accord avec ça. Mais si on avait raccourci quelques passages de ce genre, ça aurait pu servir à faire du développement de personnage par exemple.
Alors attention, je ne dis pas que le film est mauvais. Mais ces détails m’ont gâché l’expérience. Je termine sur un dernier point, qui concerne la dernière partie. ATTENTION, LA SUITE SPOILE À MORT, donc si vous n’avez pas vu le film et que vous souhaitez garder la surprise, passez le paragraphe qui va suivre.
- la fin m’a déçue. Je m’attendais à une histoire différente et à tout moment j’ai pensé qu’elle pouvait prendre une autre direction. Pour ceux qui n’ont pas vu, voici le twist final. Vous vous souvenez que le héros devait se souvenir de son passé et se demandait quelle pouvait être la faute gravissime qui le condamnait à vivre l’existence désespérante de Makoto ? Qu’il tentait de deviner qui il était ? Eh bien le twist c’est que Makoto était en fait… Makoto. C’est pour cela que son âme a été réincarnée dans son corps, c’était en fait le sien à la base. Sa très grande faute était en fait de s’être donné la mort. Et son épreuve temporaire n’était en fait pas une épreuve pour retourner dans le cycle de réincarnation, mais un test pour déterminer si une âme torturée pouvait reprendre goût à la vie (sinon, j’imagine qu’on le bazardais en enfer et qu’on n’en parlait plus). Alors, c’est chouette, parce que ça se termine bien pour Makoto, qui peut reprendre sa vie avec de nouveaux amis et un avenir bien tracé. Mais j’espérais mieux. Déjà, on aurait pu lui révéler la vérité à la base, ça lui aurait évité de commencer par traiter les gens avec indifférence parce que ce n’était pas sa vie à lui. Mais surtout, les détails discordants du début m’ont laissé penser que sa deuxième chance était en fait une malédiction. Après tout, il était en enfer au début, et qui donnerait une deuxième chance à une mauvaise âme ? Pura Pura, qui vient lui annoncer qu’il a été choisi, est vu comme un ange, ou du moins au service de Dieu, mais tous les anges ne sont pas tous bon (y’a qu’à voir Lucifer, par exemple). Et surtout, pourquoi l’envoyer vivre une autre existence que la sienne (croyais-je au début) ? N’était-ce pas un plan de la part d’un démon, pour déséquilibrer le cosmos et contrarier le créateur ? Bref, je voyais déjà l’histoire se terminer par un affrontement entre diables et dieux pour le salut de son âme, un truc cosmique avec des effets spéciaux et des chambardements dans le plan astral. Ou même quelque chose de plus soft, avec par exemple une comparution devant une balance astrale pour la pesée de l’âme, épreuve finale du héros qui doit abandonner son désir de mort et s’ouvrir à l’amour et l’amitié. Mais ce n’est pas pour cette fois.
Donc voilà, ce film est juste sympa. Un jour, s’il pleut des cordes, si la buée se forme sur les vitres, si vos amis ont cours et que Youtube lague trop, prenez une couverture, une tasse de chocolat chaud, verse-y du brandy, puis mettez Colorful. Vous passerez un bon après-midi et vous pourrez étendre votre culture cinématographique, surtout si vous ne bloquez pas sur les détails comme moi. Mais ça ne vous changera pas la vie et ne vous donnera aucune réflexion profonde sur la vie, l’univers et le reste. C’est un film agréable et bien pensé, mais c’est à peu près tout. Peut-être qu’il vous apportera plus si vous aimez décortiquer les œuvres, auquel cas vous apprécierez sans doute d’examiner en profondeur les multiples messages cachés et les différentes techniques utilisées. N’hésitez-moi à me faire partager vos avis et à très bientôt !