Impitoyable, la machine fit demi-tour et s’élança de nouveau sur les prisonniers. Aïtia releva Ad qui était tombée à genoux près de son ami et l’écarta de sa trajectoire. Leurs ennemis rirent en les voyant sauter d’un côté et de l’autre pour ne pas être écrasées.
Ce fut cet instant qu’Énantion choisit pour quitter le champ de bataille. Cette fois-ci, il ne le fit pas simplement à pied mais avec la machine. Les prisonniers poussèrent une clameur de dépit en regardant leur unique chance de salut disparaître sous les arbres de la Dévoreuse.
Non, songea Ésis avec désespoir.
Au contraire, les esclavagistes laissèrent éclater bruyamment leur joie. Encouragés par la désertion du prince, ils redoublèrent d’ardeur. Même à distance, Ésis entendit distinctement Aïtia accabler Énantion de malédictions en termes peu flatteurs et la vit se précipiter droit vers l’ennemi, l’arme brandie.
Mais c’est inutile, pensa-t-il. Nous allons perdre. Une boule se forma dans sa gorge. Tout est perdu !
– Il n’a pas pris la fuite, dit soudain Sicksa.
– Quoi ?
– Il n’a pas pris la fuite ! Écoute !
Ésis tendit l’oreille… et perçut le grondement assourdi qui enflait peu à peu. Son cœur rata un battement. Deux secondes plus tard, les arbres explosaient sous la masse de la machine, lancée à vitesse maximale. Mais, plutôt que de se diriger vers les combattants, elle fila droit vers l’autre char blindé.
Le choc fut brutal. Ésis crut presque sentir le souffle produit par la collision. Les deux monstres de métal se percutèrent avec un hurlement digne de la fin du monde, comme si tous les démons de l’enfer avaient crié en chœur, un grincement si strident et si puissant que le garçon en eut des tintements dans les oreilles pendant un long moment. Les tôles se froissèrent comme une simple feuille de papier et les machines prirent l’aspect de canettes écrasées.
Ésis s’attendait à ce que tous leurs occupants aient péri, pourtant il vit une trappe s’ouvrir et Énantion s’extirper d’entre les plaques compressées. Les prisonniers le rattrapèrent tandis qu’il se laissait tomber du dos de la machine et l’accueillirent par de vives acclamations. Le garçon n’y tint plus et se précipita vers eux. Il couvrir la distance qui les séparait en quelques secondes mais fut intercepté par Aïtia.
– Reste à l’écart, lui intima-t-elle, ce n’est pas fini.
– Mais c’est tout comme ! lança un homme en riant.
La jeune femme contempla d’un air sombre leurs ennemis qui sortaient de leur stupeur.
– Rien n’est gagné, dit-elle. Seuls, nous ne…
– Là haut, regardez ! cria soudain quelqu’un.
Tout le monde leva le nez et vit une nuée de formes courtaudes traverser le ciel. Ésis reconnut la silhouette familière des éliplanes. Il y en avait plus d’une dizaine et chacun portait la marque de la couronne.
– Les troupes royales ! s’exclamèrent plusieurs personnes.
Les prisonniers hurlèrent et sautèrent de joie. À l’inverse, dans le camp des Revendeurs, ce fut la panique. Les esclavagistes abandonnèrent le combat, laissèrent tomber leurs armes et se mirent à fuir. Ce fut d’abord quelques uns qui coururent se cacher, puis de plus en plus, et finalement tous les ennemis tournèrent les talons et disparurent dans la Dévoreuse.
Un grand éclat de rire secoua les prisonniers, hilares de voir leurs terribles adversaires décamper comme des lapins avant même que les troupes soient vraiment là, mais aussi soulagés de ne pas avoir à replonger dans l’horreur des combats. Ésis criait et riait comme les autres, aussi fut-il très surpris de constater qu’Énantion restait les bras ballants sans oser bouger, rouge des joues aux oreilles.
– On… on a gagné ? demanda-t-il avec l’air de ne pas y croire.
Seul un rire encore plus grand lui répondit.
J’ai envie de dire « ouf ! Pas trop tôt », mais avec leur chance de canard boiteux ils vont se retrouver prisonniers à la place des Revendeurs ou un truc comme ça…
Ouf, non, les choses s’arrangent pour eux. Ils ont bien gagné une petite pause.