Les prisonniers réagirent aussitôt, ce qui fut une excellente chose car la seconde suivante une masse lancée à pleine vitesse se jeta au milieu des Revendeurs. La plupart esquivèrent d’un bond, mais certains n’eurent pas cette chance. Cette fois, Ésis ferma délibérément les yeux et se boucha les oreilles.
Un concert de grincements et de chuintements s’éleva et le grondement décrut un peu. Le garçon se risqua à rouvrir les yeux et découvrit, non sans surprise, l’une des machines dont les Revendeurs s’étaient servis pour entrer dans Topaï. Maintenant qu’il avait le temps de la regarder, elle lui évoquait une gigantesque larve couverte d’une carapace de métal, avec une tête en forme de marteau.
– Mais c’est quoi ce cirque ? s’exclama Aïtia.
Comme pour lui répondre, une trappe sur le dos de la machine coulissa en grinçant et tous virent apparaître la figure pâle et timide d’Énantion.
– Ai-je blessé quelqu’un ? demanda-t-il d’un air penaud.
Un silence stupéfait accueillit ses paroles, puis un grand éclat de rire nerveux s’empara les prisonniers. Le visage d’Énantion prit une couleur plus soutenue, visible même dans la pénombre. Bégayant, le jeune prince tenta de se faire entendre par-dessus le vacarme :
– S’il vous plaît, ce n’est pas le moment de vous moquer… J’ai des nouvelles très graves… très graves ! J’ai entendu le chef parler de ses plans. Il veut se servir de ces machines pour attaquer la capitale. S’ils arrivent à atteindre le palais de mon père, il prendront le contrôle du gouvernement et… m’écoutez-vous ? Ne riez pas, c’est très sérieux, ils veulent asservir tout le pays !
Aïtia parvint enfin à se reprendre et dit :
– Pardonnez-nous, mon prince. Nous avons vécu des moments éprouvants. Mais vous avez raison, l’affaire est grave. Nous ne pouvons pas laisser ces gredins envahir la capitale.
– Oui, mais comment faire ? se lamenta Énantion. Ces gens sont trop nombreux et trop bien organisés… je crains qu’ils n’aient aussi d’autres groupes dévolus à leur cause ailleurs dans le royaume. Si mon père et son armée étaient là, peut-être pourraient-ils gagner. Mais nous tous seuls…
Aïtia considéra l’imposante machine où il était assis, les Revendeurs en fuite, la mine ébahie des prisonniers, et sourit.
– Je crois qu’on va pouvoir se débrouiller, assura-t-elle.
– Ah bon ?
– Mon prince, vous devrez nous mener à la bataille. Avec votre machine qui nous ouvrira le passage, rien ne nous résistera !
– Moi ? Vous conduire au combat ?
Énantion rougit encore, cependant cette fois cela sembla être de fierté.
– Vraiment ? fit-il. Mais je n’ai rien fait pour mériter un tel honneur…
– Vous rigolez ? Vous venez de nous sauver la vie à tous ! Et peut-être même la vie du royaume, en plus ! Pas vrai, tout le monde ?
Les prisonniers poussèrent des acclamations et Ésis vit le jeune prince prendre un air émerveillé. Au fond, c’étaient probablement la première fois qu’on le félicitait ainsi.
– D’accord ! s’exclama-t-il en disparaissant dans la machine.
Celle-ci se remit presque aussitôt à gronder férocement et les prisonniers lui répondirent par un cri de guerre. Puis les chenilles grincèrent et l’amas de tôles se souleva pour foncer vers le campement.
Enfin quelque chose qui fonctionne… !
Mouais, ça reste Enantion aux commandes, ça risque de ne pas durer longtemps.