Chapitre 26

Deux Revendeurs lourdement armés étaient apparus près des cages et s’approchaient. L’un d’eux s’arrêta devant le prisonnier et fit un geste. Aussitôt, l’autre ouvrit la porte, intima aux captifs de s’écarter, puis revint avec l’homme. À peine sorti, on passa à ce dernier une chaîne aux poignets et on le poussa sans ménagement vers les ombres.

Ésis assista à la scène, médusé, tandis que le prisonnier lui lançait un dernier regard suppliant. L’un des Revendeurs le considéra avec méfiance, puis lui demanda abruptement :

– Ce type t’a dit quelque chose, gamin ?

En un battement de cœur, Ésis sut ce qu’il devait faire.

– Non, répondit-il en cachant le livre derrière lui.

Les pillards s’éloignèrent. Camille, qui avait suivi la dernière partie de l’incident, tourna vers lui un visage perplexe. Lentement, il s’assit et, prenant bien soin de dissimuler le livre dans les ombres, l’ouvrit sur ses genoux.

Toutefois, il n’eut pas le temps d’en lire une ligne. Un petit choc sur sa jambe le fit sursauter et lâcher l’ouvrage. Surpris, il parvint à discerner la forme étirée d’un minuscule lézard. Son premier réflexe fut de s’en débarrasser d’une tape, car la Dévoreuse regorgeait de créatures à la peau venimeuse. Puis il se rendit compte que le lézard tenait entre ses pattes un objet brillant, à peine plus grand que lui. Une clé.

Non, songea-t-il, ce serait trop beau.

Puis, une seconde plus tard, le lézard avait laissé place à un jeune garçon aux bois de cerf.

– Sicksa ! s’exclama Ésis.

Plusieurs têtes se tournèrent et il reprit plus bas :

– Mais comment as-tu…

– Je n’aime pas les cages. Les barreaux étaient rapprochés, alors je me suis changé en lézard pour passer. En venant, j’en ai profité pour voler la clé. Elle fonctionne pour toutes les serrures, je crois.

Ésis le contempla, bouche bée, puis éclata d’un rire involontaire.

– Sicksa, hoqueta-t-il, j’aime quand tu voles des clés !

Camille assistait à la scène avec des yeux incrédules. Elle n’était pas habituée, comme Aïtia et lui, aux bizarreries de Sicksa. Le garçon lui adressa un sourire rassurant et expliqua :

– C’est un esprit des bois que j’ai rencontré après l’explosion. Il est très gentil.

Il lui raconta ses aventures en quelques mots. La jeune fille l’écouta sans émettre un son, subjuguée. Enfin, elle parvint à souffler :

– Ben ça, c’est plus impressionnant que d’être capturée par des marchands d’esclaves…

Ésis sentit qu’elle avait des centaines de questions à lui poser, pourquoi il avait voulu accompagner Aïtia, s’il avait rencontré des survivants à proximité de Kaez, comment il avait pu se lier d’amitié avec un esprit des bois… Mais Camille avait grandi tout près d’une nature déterminée à la détruire et elle avait un caractère pragmatique, aussi demanda-t-elle :

– La clé, elle ouvre cette cage et les autres ?

Le garçon lui répéta ce qu’avait dit Sicksa.

– Alors il faut avertir les autres prisonniers, décréta-t-elle. Mais ils ne devront pas faire de bruit, sinon les Revendeurs viendront.

– Mais moi, je ne peux pas fuir. Je n’abandonnerai pas Aïtia. Et puis j’ai un autre ami qui doit être retenu… quelque part.

Camille réfléchit un instant, puis claqua des doigts.

– Je sais, fit-elle. Tu n’auras qu’à aller le chercher une fois que les prisonniers seront tous sortis. À ce moment, les Revendeurs s’apercevront sûrement que les cages sont vides et le camp sera plongé dans le chaos. Qu’en penses-tu ?

– C’est une bonne idée.

– Une bonne idée ? s’exclama quelqu’un à côté d’eux. C’est même une excellente idée !

Tous deux tournèrent la tête, pour voir un drôle de personnage se relever d’un bond et se fendre d’une révérence. Quand il se redressa, ils virent un visage de lutin couronné d’une courte chevelure aux mèches inégales. Deux yeux clairs et railleurs y brillaient comme des éclats de lune.

– Pour ma part, j’en ai une autre, déclara l’inconnu.

Puis, d’une voix indéniablement féminine, il se mit à crier vers le camp :

– Gardes ! Gardes ! Ils essaient de s’enfuir !

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