Vendredi : L’ombre est encore venue devant chez Kevin. Il l’a vue derrière la haie. Elle avance, m’a-t-il dit. Il a peur qu’un soir, elle finisse par entrer. Il ne l’aime pas. Moi non plus je ne l’aime pas, parce qu’elle fait peur à mon seul ami.
Samedi : Ce matin, j’ai reçu un autre message de Kevin, sur un avion en papier. C’est moi qui ai trouvé l’idée, pour se parler d’une fenêtre à l’autre. J’en suis très fier. Mais quand j’ai lu le mot, j’ai compris que ça n’allait pas. L’ombre est passée de l’autre côté de la haie. Kevin a voulu la montrer à ses parents, mais elle s’est cachée et ils ne l’ont pas vue. Il espère qu’elle a fui pour de bon et qu’elle ne reviendra plus.
Dimanche : Kevin se trompait. Elle est revenue. Sur l’avion en papier, les lignes se brouillent, se chevauchent, et j’imagine Kevin les écrire en tremblant sous le coup de la terreur. À part lui, personne ne voit l’ombre, qui se cache toujours quand il en parle à quelqu’un. Il me demande si je le crois. Je lui réponds oui et c’est vrai. J’aimerais aller chez lui et guetter l’ombre, pour la voir moi-même, mais je n’ai pas le droit de sortir.
Lundi : Les garçons m’ont lancé des pierres par-dessus la clôture du jardin.
Je réfléchis.
Mardi : Maintenant, l’ombre est juste sous la fenêtre de Kevin. Il a très peur, parce qu’il l’a entendue appeler son nom et qu’il pense qu’elle va l’emmener. Où, il ne sait pas. Sans doute très loin de chez nous. Il dit que ça arrive tout le temps dans les histoires. Je lui dis qu’il devrait lui ordonner de partir, ou lui demander ce qu’elle veut, mais il ne répond plus. Il m’envoie juste les mêmes messages angoissés, à peu près une fois par heure.
Mercredi : Kevin a décidé de fuguer. Il s’est sauvé tôt le matin, après m’avoir envoyé un dernier avion. Il est parti très loin, pour que l’ombre perde sa trace. Comme ça, elle ne pourra plus l’emmener avec elle.
Je suis tout seul et je pense.
Je pense que ce soir, je sortirai tout doucement de chez moi. Je passerai par-dessus la clôture rouillée et je me laisserai tomber sur le sol. Ça me fera sans doute un peu mal, mais j’arriverai à aller jusqu’à la maison de Kevin, puis jusqu’à sa chambre. Là, je me cacherai dans son lit, après avoir enfilé ses vêtements, et j’attendrai. Et puis, quand l’ombre chuchotera son nom, j’irai jusqu’à la fenêtre et je glisserai jusqu’à elle pour qu’elle m’emmène loin, très loin.